Nas, contrairement au titre de ce nouvel album, nous revient une fois de plus dans une forme éblouissante sur King’s Disease III, qui comme son nom l’indique, est le troisième volet d’une série d’albums initiée en 2020. Deux années extrêmement prolifiques pour le rappeur de Queensbridge qui, nous allons le voir, est en train de réaliser un grand chelem de très haute volée.
Le Petit Prince devenu Empereur
Avant de commencer cette chronique, bref historique des faits. Nasir Jones naît en 1973 à New York. En 1989, il commence à se produire derrière le micro, adopte le surnom de Nasty Nas puis en 1991 apparaît dans le clip du très bondissant Back To The Grill Again par MC Serch.
1994 arrive vite, ainsi que l’heure du baptême du feu et... Comment dire ? Le défi est brillamment relevé puisque le premier album officiel de celui que l’on nomme maintenant simplement Nas - Illmatic - est considéré de nos jours comme un classique intemporel du Hip Hop. 1996 verra la sortie du deuxième effort - It Was Written – et devinez quoi ? Rebelote. Succès, acclamations, confirmation. Nas commence doucement à s’assoir sur le trône convoité de New York et accessoirement du Rap US. Son nom pèse dans le game, dirait-on aujourd’hui. Puis les évènements prendront une autre tournure.
"Mes Amis, Mes Amours, Mes Emmerdes"
C’est marrant car au moment où j’écris ces mots afin d’expliquer ce qui arrive, les paroles du chanteur Français me viennent en tête. Aznavour n’a rien à voir avec Nas, mais la chanson pourrait très bien illustrer la suite de la carrière de notre rappeur. Pour aller vite (on a une chronique à faire, n’oublions pas), un groupe quasiment mort-né – The Firm, que l’on reverra plus tard néanmoins sur le premier opus des King’s Disease – avec Dr Dré aux manettes entre autres participations de ses petits camarades de jeu, des embrouilles avec Jay-Z ainsi que des disques inconsistants terniront quelque peu sa réputation. Nas relèvera bien vite la barre dans les années 2000 concernant la musique, puis finira par refaire des bisous à Jay-Z. Il signera même un contrat sous l’égide de son meilleur ennemi/ami, on ne sait plus trop, alors que Jay dirigeait Def Jam, ô combien illustre label Hip Hop de New York. Jones renoue donc avec le succès, l’or et le platine qui vont avec en enchaînant les collaborations ainsi que les réussites critiques et commerciales. Le prince devenu roi savoure dès à présent une déjà longue carrière que beaucoup peuvent lui envier.
Imperius Rex !
Allez, les présentations rapides ont été faites, il est maintenant l’heure de réellement commencer cette chronique de King’s Disease III. Tout d’abord, le projet contient dix-neuf titres. Ca peut paraître anodin de le signaler mais en ces temps connectés où les EP, albums, et autres durées de morceaux sont calibrés pour l’algorythme Youtube, c’est plutôt long. Mais Nas n’oublie pas cette dictature moderne en alternant les chansons « courtes » avec des morceaux à peine plus longs. Quantité n’égale pas qualité, mais dans le cas présent… C’est le cas, avouons le. Dans la très grande majorité de l’album, un certain équilibre est respecté. Premièrement, si c’est votre premier King’s Disease, nous avons beau être en 2022, vous verrez que Nas reste imperméable aux sonorités actuelles. Ou en tout cas ne fait que très peu de concessions à l’époque actuelle (l’excellent morceau 30, par exemple). Accompagné du fidèle Hit Boy à la production, vous entendrez un Rap gorgé de samples soul, funk ou ces bons vieux violons/pianos qui faisaient la loi dans les années 90. Mais attention, si les instrus peuvent sembler vintages, les différentes sources sonores sont très bien trouvées et les thèmes abordés sur le disque reflètent son état d’esprit à l’instant T. Loin d’être nostalgique, il faut plus y chercher une mesure du chemin parcouru (sur Hood2Hood) ou comme il le chante sur Ghetto Reporter :
« Look yourself in the mirror, tell me times ain't the scariest
For me droppin' album after album, like it's a various artist compilation
But it';s just me and HB and this shit take concentration
Niggas know I don't drop this often, so cherish it »
... Mettant en valeur la déconcertante facilité, mais aussi la difficulté afin de maintenir ce niveau d’exigence, avec laquelle il sort des disques depuis deux ans. Rappelons qu’entre les deux premiers King’s Disease et celui-ci, il y eut Magic, un disque indépendant de cette série. Ca fait quatre sorties en vingt-quatre mois… Et la qualité est présente à chaque fois… Combien de carrières se sont lancées ou se sont perdues dans le même laps de temps ? Un détour par le Boom Bap classique lui sert à se comparer - mais surtout à rendre hommage - à Michael Jackson et Quincy Jones par le biais de références bien senties sur un beat lourd couplé à une sombre boucle hypnotique. C’est parfait, j’en demandais pas tant.
« Nas'll hit like Michael and Quincy on the run again (Run again)
Eardrums devirginized from the words of mine (Mine)
Just a word of advice, you can't murder Nas (Nas)
All my niggas certified, we got certain ties (Certain ties)
I'm activated, my hair might spark flames
Aviator frames, bandages, laminates, a stage
From a stretcher, I wave
Even if I never had two arms full of Grammys
Or a sponsor from Pepsi, I'll still be honorary
Like Quincey on the trumpet, Hit-Boy on the drum kit"
Nasty like Mike on the vocals, I overdub it (Shamone)
Bouncin' off the wall, always startin' somethin'
Behind the scenes of the Thriller video, big budgets (Big budgets)
Moonwalkin', smooth criminal talkin' (Smooth talkin')
I'm changin' colors right now 'til I'm dark-skinned ('Til I'm dark-skinned)
Adam Clayton Powell, complexion of Baldwins
Annie, are you okay watchin'; me transformin'”
Des tranches de vie plus sérieuses sont également évoquées, plus propices à la réflexion, avec Once A Man Twice A Child, morceau contemplatif sur le temps qui s’enfuit, les cycles finissant de se boucler:
“If you lucky you get old
Oldtimer told me (Yeah)
You ain't gon' be able to fuck the same
Drink the same
Hang out the same
I'm like—
Once a man, twice a child Yeah
Once a man, twice a child
It's like a baby again"
[Chorus]
"Strong motherfucker when you're young
I ducked a razor, ducked some punches, even ducked a gun Nintendo Duck Hunt
I ducked police I had to run
Meanwhile, when you get old you might become futile
My old style is a rough of my new style”
Vous l‘aurez compris je crois, King’s Disease III est une fois de plus un projet dans lequel Nas évolue tel un mac dans Brooklyn. Mais un mac dont tout le monde baise la main au passage et reluque la couronne. Une coiffe brillante de mille feux.
Si l’image vous paraît décalée, voire choquante, je vous invite à réécouter Chez Le Mac d’IAM, vous comprendrez la référence. Le duo Nas/ Hit Boy vient de frapper un grand coup. Encore. Nas vous manquait ? Ca tombe bien, le disque tue. Vous ne connaissiez pas ? Faites vous plaisir, Noël approche et procurez vous la trilogie. Plus Illmatic. Pour l’échauffement, histoire de bien commencer. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas aujourd’hui que l’on fera passer ce monarque sous la guillotine. Son écriture et son flow nous manqueraient trop. Ce King’s Disease III est vivement recommandé, comme toute la série d’ailleurs.
Comments